Animal Crossing est le jeu vidéo qui a fait sensation pendant le confinement. Derrière le côté Bisounours, faut-il se méfier de ce jeu irréprochable ?

Le timing était parfait : le 20 mars, quand la plupart des pays du monde se hâtaient de mettre en place, dans la panique, des mesures de confinement draconiennes devant le progrès de la Covid-19, Nintendo sortait « Animal Crossing : New Horizons », prévu de longue date et plusieurs fois retardé.

Seulement voilà, les « spécialistes » et « experts » habituels, fréquemment invités sur les plateaux télé, tirent la sonnette d’alarme. À les écouter, trop jouer à Animal Crossing ferait du mal à nos enfants, et ce jeu ne serait qu’un cheval de Troie : on commence avec Animal Crossing, mais sait-on dans quel engrenage infernal on vient de mettre le doigt ?!

Animal Crossing, la bonne aubaine du confinement

Alors que tout le monde était sommé de rester chez soi, les adeptes du jeu ont pu s’installer tranquillement sur leur petite île fictive, entourés d’animaux affectueux et serviables aux airs de doudous. Et vas-y que je plante des fleurs, et vas-y que je m’enquiers du cours du navet, et que j’aménage ma petite maison mignonne à souhait…

Une façon somme toute assez rassurante de prendre son confinement en patience et de pratiquer la distanciation physique, chacun devant sa Switch.

Les parents sont perplexes : d’accord, on a enfin un jeu calme sans fusillades ni bastons… Mais n’est-on pas un peu tombé dans l’excès inverse ? Et est-ce que ça ne va pas « lobotomiser » mon gamin, de planter des fleu-fleurs toute la journée ?

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Un jeu pas comme tant d’autres : des choix de conception à contre-courant

Animal Crossing est né d’un projet Nintendo avorté. Il s’agissait au départ d’un jeu classique, avec quêtes et missions à accomplir, donjons, dragons, tout ça. Les développeurs avaient prévu dans le jeu une sorte de « salle de repos » où les joueurs auraient pu se détendre et bavarder entre deux missions.

Au final, cet espace de sociabilité relax est le seul aspect du jeu qui a survécu.

C’est ce choix délibéré qui a donné naissance à Animal Crossing. On a donc un jeu focalisé uniquement sur le fait de passer du temps ensemble.

Le jeu se joue sur la console Switch et permet de créer plusieurs profils pour que plusieurs joueurs puissent collaborer. On peut aussi s’abonner à la communauté Nintendo Switch Online et jouer à Animal Crossing avec d’autres joueurs en ligne, en les invitant sur son île ou en allant leur rendre visite. Même quand on y joue complètement seul, l’univers du jeu tourne tout entier autour du fait de passer du temps avec de gentils animaux qui veulent nous tenir compagnie.

C’est un aspect qu’on néglige souvent dans les débats autour du jeu vidéo : la dimension sociale. Se retrouver avec ses copains, ou faire connaissance avec d’autres personnes à distance, c’est ça qui intéresse beaucoup de joueurs. On est bien loin du cliché du gamer asocial et mal dans sa peau.

Cette composante sociale, si attirante pour les préados et les ados, est de plus en plus mise en valeur dans les jeux vidéo. C’est par exemple l’un des attraits majeurs de Fortnite. Ce qui est dans Fortnite un élément important, devient dans Animal Crossing la raison d’être du jeu.

Pas de conflits, pas de tensions, pas de compétition : le jeu des Bisounours

Dans Animal Crossing, tout est gentil-mignon. Les graphismes sont plein de rondeurs et de couleurs pastel. On est loin de « Mortal Kombat de la Guerre qui Tue les Zombies Nucléaires Paramilitaires de Vol de Voiture par Course Poursuite d’Explosions au Bazooka de l’Apocalypse des Morts Vivants ».

Animal Crossing est symptomatique des changements profonds qui ont affecté le marché des jeux vidéo depuis dix ans. Depuis le début, le jeu est très populaire auprès des femmes et des jeunes filles. Mais Animal Crossing, avec son ambiance de gentillesse universelle, n’est pas juste « un truc de filles ». Selon Nintendo, c’est le jeu qui a la parité la plus solide : les joueurs sont répartis 50-50 entre hommes et femmes.

Mais quel est le but du jeu ? Pour gagner, il faut faire quoi ?

Euh… Excellente question. C’est quoi l’intérêt, s’il n’y a pas de monstres à occire, et pas d’ennemis à qui mettre la pâtée ?

L’intérêt du jeu, c’est de flâner et de vaquer à ses occupations. C’est l’équivalent de nos petites routines quotidiennes, comme arroser le yucca et changer l’eau du chat. Ça a un petit côté « tamagotchi », ce jeu antique (de 1996 !) dans lequel il fallait nourrir un poussin pour le voir grandir.

Avec un peu plus de variété, puisqu’on peut aussi construire des outils et des bâtiments, se lancer dans de grandes opérations de terrassement pour aplanir une colline ou bâtir un pont.

Dans Animal Crossing, on fait le genre de choses qu’on fait pour se désennuyer un dimanche après-midi. Sauf que, quand on arrose ses fleurs virtuelles, elles se mettent parfois à scintiller – avouez que c’est tout de même plus gratifiant que de prendre soin du yucca.

Les joueurs s’amusent aussi à recenser les petits détails fignolés qui font toute la différence : le bruit de la pluie, les gouttes de pluie sur les vitres, les feuilles des arbres, leur murmure…

C’est ce côté apaisant et contemplatif qui fait l’immense succès du jeu. Nombreux sont les fans à raconter qu’une version précédente d’Animal Crossing a été leur bulle d’oxygène dans des périodes stressantes de leur vie, à cause d’un boulot prenant ou d’études intenses. Car dans Animal Crossing, il n’y a pas de guerre d’ego et on n’est pas jugé sur sa performance.

Gameplay Animal Crossing

Hum… C’est pas un peu suspect, ce jeu parfait ?! Où est l’entourloupe ?

Même les pourfendeurs des jeux vidéo ont bien du mal à dire précisément en quoi Animal Crossing pourrait être « mauvais ». Les paniques morales créées autour des jeux vidéo font que beaucoup de parents cherchent la petite bête, mais cela peut être contre-productif.

Disons-le tout de go : à moins que votre enfant montre des troubles du comportement pendant plus d’un an  parce qu’il joue à Animal Crossing, vous vous faites du souci pour rien.

Alors, c’est vrai, comme beaucoup de jeux vidéo et de produits culturels tout court, Animal Crossing utilise des mécanismes éprouvés qui incitent les joueurs à jouer souvent et un peu plus longtemps : si on se connecte à telle heure, on découvre tel fossile rare qui rapporte plus de points, etc. Encore heureux qu’un jeu qu’on a payé un prix non négligeable soit bien conçu, et que ce divertissement soit effectivement divertissant !

Bruno Rocher, psychiatre addictologue, rappelle que les marques d’agro-alimentaire ajoutent du sel, des épices et des exhausteurs de goût à leurs plats préparés, pour nous les rendre plus savoureux. Et les gens ne s’en inquiètent pas plus que ça – ce en quoi ils ont raison.

Manger des plats préparés à tous les repas, tous les jours, pendant des années, non, ce n’est pas bon. En manger de temps en temps, voire régulièrement pendant quelques semaines où on est débordé, ce n’est pas gravissime, à condition d’avoir d’autres repas équilibrés par ailleurs. Les jeux vidéo, c’est pareil…