Nous avons posé la question sur le cas des enfants stars sur YouTube à l’une de nos expertes la psychologue Marion HAZA.

Nous décidons de revenir avec Marion sur le cas de la jeune Anthéa, star sur YouTube à 8 ans dont on a beaucoup parlé dans les médias.

> Que se passe-t-il dans la tête d’une enfant de 8 ans pour qu’elle souhaite se mettre ainsi en avant sur YouTube ?

« Tout d’abord, on peut remettre en question le fait qu’ Anthéa ait pris l’initiative seule de devenir Youtubeuse… En effet, même si elle n’apparaissait pas avec ses parents, le montage, la régularité, la mise en ligne étaient accompagnés par un adulte (ou quelqu’un de plus âgé comme sa cousine). On voit bien aussi que les vidéos étaient tournées de manière soignée au vu du making of en fin d’épisode.

Les enfants cherchaient déjà avant l’émergence d’Internet à se donner en spectacle, mais ceci au sein de groupes restreints, privés (chanter, faire du théâtre, de la TV, après des répétitions secrètes et se produire devant la famille, les amis, un spectacle d’école, de danse …). Toutefois, la démarche de s’exposer sur Internet à 8 ans questionne. Elle a forcément été impulsée par un adulte. (D’autant plus que chez les enfants, il y a peu de modèle identificatoire de YouTubeur, ce qui est différent bien sûr à l’adolescence !) »

Des youtubeuses célèbres et plus âgées ont exprimé à plusieurs reprise le choc et l’humiliation parfois très violente qu’elles subissaient sur Internet après avoir publié leurs vidéos.

> Quel peut-être l’impact sur un jeune enfant qui doit affronter des propos haineux émanant de personnes qu’il ne connait pas ?

« Les enfants de 8 ans sont vraiment fragiles par rapport à la diffusion sur Internet. Ils n’en comprennent pas encore les enjeux, la diffusion, les montages, la récupération possible… Ce sont les adultes qui doivent accompagner les enfants concernant ces problèmes qui peuvent être rencontrés sur le net ; avec l’adulte par contre, l’enfant est protégé, il a un cadre, on lui met des limites (ce qu’il peut diffuser ou non, parole, photos …). L’adulte est normalement conscient des risques et des avantages d’Internet ou il peut prendre conseil sur certains sites ou auprès de spécialistes.

Le nombre de vues et de « j’aime » sur YouTube peut devenir pour ces jeunes enfants une nécessité, un idéal à atteindre et entraîner une dévalorisation de soi quand l’effet de mode passe et qu’un nouveau YouTubeur plus « à la mode » fait son apparition, ce qui est très rapide sur Internet ! »

> Dans le cas des chaines d’unboxing qui sont créées à l’initiative des parents dont certaines occasionnent des revenus conséquents n’y a-t-il pas quelque chose de malsain ?

« La première question à se poser est effectivement, que cherchent ces parents ? Il semble qu’ils utilisent l’image attractive des enfants, comme Anthéa et Kalys, pour être vus eux. Ce sont les parents qui ont les idées et qui les mettent en scène, les enfants sont trop jeunes pour donner leur avis, s’opposer et sont sur scène face à la caméra. On peut aussi penser à tous les comptes Facebook créés par des parents avec des photos ou vidéos parfois dégradantes de leurs enfants (#kidbashing).

Ces enfants sont donc pris dans les désirs parentaux et ne sont pas considérés en tant qu’enfants. Et ces derniers sont souvent séduits par ce qui est proposé (scènes, cadeaux, être filmé), sans mesurer ce que deviennent les images. En outre, à la différence de jeunes stars comme Jordy il y a quelques années, là, les images restent et sont diffusées dans le monde entier à grande vitesse. Ce flux est impossible à arrêter. Ces images resteront donc toujours associées à ces enfants. »

> Outre les aspects financiers qui sont importants, quelle peut être la motivation des parents de mettre en scène ainsi leurs enfants ?

« Il semblerait que le désir parental soit une quête narcissique qui leur est propre mais qui utilise les enfants comme alibi. La pensée, le désir de l’enfant sont laissés de côté dans une quête d’un enfant idéal, d’une famille idéale, voire d’une parentalité idéale dévoilée au monde entier via Internet. L’enfant devient donc un objet de réussite. La question financière pèse toutefois aussi lourd dans la balance. »

> Enfin quels conseils pourriez vous donner aux parents dont les enfants leur demande la possibilité d’ouvrir une chaine sur une plateforme vidéo ?

« Tout d’abord, avant 12 ans, ne pas laisser son enfant seul sur Internet, et donc ne pas le laisser publier sur YouTube ou autre plateforme vidéo seul (comme le préconise S.Tisseron avec sa règle du 3, 6, 9,12).

Cette attitude permet d’instaurer du dialogue, de comprendre ce qui peut être mis en ligne ou non, et toujours se questionner : pourquoi mettre en ligne, à destination de qui ? Parfois, il vaut mieux créer des groupes privés (amis, famille) car les vidéos sont faites uniquement pour un cercle restreint. Il ne s’agit donc pas d’interdire à tout prix mais de discuter, et sûrement, de fait, de différer une publication massive en expliquant à son enfant pourquoi… »