Les enfants sont exposés de plus en plus jeunes aux contenus pornographiques. Des spécialistes livrent leur trousse de secours en cas d’accident.

Nombreux sont les parents, horrifiés, à découvrir que leur enfant a consulté des images pornographiques. Comme cette mère de famille, bouleversée d’avoir découvert que son fils de 11 ans – « qui joue encore aux Lego » – a été confronté à de tels contenus sur son téléphone portable. « J’ai peur qu’il soit foutu », confie-t-elle à BFMTV.com, s’inquiètant des dommages sur son psychisme, ses futures relations et son rapport à la sexualité.

Une situation des plus banales, fait valoir à BFMTV.com Patrice Huerre, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent. « Ce n’est pas toujours évident à anticiper pour les parents, surtout dans ces âges intermédiaires où les enfants peuvent être à la fois très infantiles par certains côtés mais sensibilisés à la sexualité dès qu’ils passent la porte du collège. »

Au moins un enfant sur sept concerné

Fin novembre, trois associations (dont l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation au numérique, Open) ont saisi le conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) afin de bloquer huit sites pornographiques. Elles reprochent à ces derniers de ne limiter leur accès aux mineurs qu’avec un simple message d’avertissement – ce dernier demande à l’internaute de cliquer pour certifier qu’il est bien majeur. Or, une loi votée l’été dernier oblige ces sites à vérifier l’âge de leurs utilisateurs sous peine d’être bloqués.

« On ne demande pas leur fermeture, assure Thomas Rohmer, président-fondateur de l’Open. Loin de moi l’idée de moraliser les espaces public et numérique, mais ces sites doivent respecter la loi. Un enfant n’a pas à avoir accès à ces contenus. »

Selon un sondage réalisé par l’Ifop pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, un enfant sur sept a vu sa première vidéo pornographique à l’âge de 11-12 ans, voire avant. Selon le pédopsychiatre Patrice Huerre, ce serait même bien plus. « Ces chiffres sont bien au-dessous de la réalité. D’après ce que nous, praticiens de l’enfance, pouvons voir, ce serait plutôt un enfant sur deux à l’entrée au collège. »

Priorité à la prévention

Pour Thomas Rohmer, également membre du comité d’experts jeune public du CSA, c’est le résultat de trente ans d’échec d’éducation sexuelle. « On est resté dans une posture hygiéniste, déplore-t-il. C’est tout à fait louable de parler du préservatif et des maladies sexuellement transmissibles mais on ne peut pas réduire la sexualité et les comportements sexuels à une approche sanitaire. »

C’est pour cela qu’il considère que la sexualité ne doit plus être taboue. « On en parle très mal en France, souvent de manière caricaturale ou gauloise. Rares sont les adultes, notamment les professionnels de l’enfance, à être à l’aise sur ces questions. » Il faudrait ainsi selon lui aborder plus largement ces sujets dès l’enfance en passant par les notions de respect de l’autre, d’intégrité du corps ou encore de consentement.

« Il n’est pas question d’apprendre aux enfants de maternelle à se masturber mais ne pas amorcer les choses dès le plus jeune âge aboutit à ce que des adolescentes reçoivent des dizaines de dick pics quand elles ouvrent un compte sur les réseaux sociaux. »

Un point de vue que partage le pédopsychiatre Patrice Huerre, qui mise sur la prévention. « Il faut aborder la question de ces contenus indésirables sans attendre l’entrée au collège, dès le milieu du primaire. » Notamment pour signaler qu’au hasard de leurs déambulations sur la toile, les enfants risquent de rencontrer des contenus pouvant les choquer.

Susciter la discussion

Car l’exposition aux contenus pornographiques est souvent fortuite, provoquée par un clic malheureux ou causée par un tiers – un copain ou un grand frère. Si les effets néfastes sur les plus jeunes ne sont plus à prouver, il est essentiel d’aider les enfants à « se débarasser de cet impact traumatique » et de « ces images qui dérangent » pour ne pas qu’elles « s’enkystent », ajoute Patrice Huerre.

« On peut tout à fait comprendre qu’à 11 ans, on se pose des questions sur son corps et qu’ajouté aux premiers désirs et à la curiosité, on recherche un peu partout des réponses. Mais il ne faut pas laisser seuls les enfants face à ces images. »

Son conseil une fois que l’accident s’est produit: éviter les discours moralisateurs et autres interdictions pour favoriser l’échange et la discussion. « Beaucoup de jeunes, pour s’en défendre, vont banaliser la chose, en rigoler. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas été choqués. » Ces derniers auraient avant tout besoin d’un adulte pour remettre les choses à leur place. Le Clemi a ainsi publié une trousse de secours avec des mots adaptés selon l’âge de l’enfant.

« Les enfants peuvent se sentir coupables et garder le silence sur ce qu’ils ont vu, poursuit Patrice Huerre. Il faut qu’ils sachent qu’ils peuvent en parler à un adulte référent. L’idée, c’est de les laisser s’exprimer, leur demander ce qu’ils ont ressenti, s’ils ont été choqués, s’ils pensent que cela se passe ainsi dans la vraie vie puis de leur faire comprendre que ces images sont produites par une industrie. »

Déconstruire les images

Recommandations similaires pour Béatrice Copper-Royer, psychologue, spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, qui invite à déconstruire le plus simplement possible ce que les enfants ont vu.

« On peut rappeler que c’est du cinéma, que ce sont des acteurs, qu’il y a des trucages, que ces images n’apprennent rien sur la sexualité, qu’elles ne représentent pas la réalité de la vie affective et sexuelle et que cela renvoie à des représentations de domination et de soumission », estime-t-elle pour BFMTV.com.

Cette psychologue ajoute qu’il est « tout à fait normal » que les enfants s’intéressent à la sexualité « mais on peut leur préciser que ce n’est pas par ce biais qu’ils auront les bonnes informations ». Elle préconise ainsi, pour les plus grands, de consulter le site Éducation sensuelle auquel elle a participé. Et invite à la vigilance, notamment si un enfant retourne régulièrement sur ces sites ou s’il a moins de 9 ans, ne disposant pas de la maturité psychique nécessaire pour assimiler ces images.

« Il ne faut pas nécessairement en reparler à plusieurs reprises ni dramatiser mais il faut rester sur ses gardes, notamment si l’enfant change de comportement, présente des troubles du sommeil ou devient anxieux. »

Si « une partie du mal vient du numérique, une partie de la solution s’y trouve aussi », pointe également Thomas Rohmer, de l’Open. Il cite notamment le compte Instagram Speachbot, qui répond aux questions des jeunes, la chaîne YouTube Teenspirit qui s’adresse aux adolescents et invite également à consulter les ressources disponibles sur le site de l’Open.

« Les parents doivent accepter que vraisemblablement, il y a 99,9% de chances pour que leur enfant tombe sur du contenu pornographique, qu’il l’ait recherché volontairement ou non. Il faut arrêter d’être dans le déni, l’accepter et préparer le terrain. Cela n’arrive pas qu’aux autres. »

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