À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant, et du 30e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, Macron passe à la vitesse supérieure contre la pornographie en ligne. 

En novembre 2017, Emmanuel Macron regrettait le manque de régulation dans l’accès aux contenus pornographiques. « Unissant monde virtuel, stéréotypes, domination et violence, la pornographie a trouvé, grâce aux outils numériques un droit de cité dans nos écoles ».

Selon le chef de l’État, « aujourd’hui, la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l’alcool ou la drogue. Nous ne pouvons pas d’un côté déplorer les violences faites aux femmes et de l’autre, fermer les yeux sur l’influence que peut exercer sur de jeunes esprits, un genre qui fait de la sexualité un théâtre d’humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes ».

Ce 20 novembre 2019 à l’UNESCO, il remet le sujet sur la table, avec des mesures plus concrètes. « Je veux que soit mis en place un contrôle parental par défaut qui permettra de garantir simplement son application. Aujourd’hui c’est une démarche volontaire. Dans la plupart des cas ce n’est pas suffisant. Ça doit être un contrôle par défaut » (La vidéo de l’allocution).

Menace d’un contrôle parental par défaut

Dans son discours, le chef de l’État annonce qu’il veut s’engager vers l’activation automatique du contrôle parental sur l’ensemble des écrans. « Je sais que cela gêne beaucoup de plateformes, beaucoup d’opérateurs numériques. Très bien. Je sais que le dogme est souvent la liberté. J’aime la liberté. Moi aussi. Mais la liberté n’existe pas s’il n’y a pas d’ordre public. On donne donc six mois aux acteurs de l’Internet pour nous proposer des solutions robustes ».

Plus exactement ainsi, les opérateurs devront donc d’ici le mois de mai, proposer un système permettant de protéger les mineurs des contenus pornographiques. À défaut, menace Emmanuel Macron, « nous passerons une loi pour le contrôle parental automatique ».

Pour mieux comprendre plus exactement cet agenda, il faut se plonger dans ce document PDF intitulé « Mesures pour lutter contre les violences faites à nos enfants. »

Mais avant cela, une charte d’engagements

Le secrétariat d’État à la Santé y annonce qu’une charte sera signée avec les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès où ceux-ci « s’engageront d’une part, à renforcer l’information des parents sur les dispositifs de contrôle parentaux et, d’autre part, à en faciliter l’utilisation en simplifiant leur utilisation ».

En outre, des campagnes de sensibilisation seront organisées sur le sujet et « une plate-forme unique regroupant l’ensemble des informations sur les différents dispositifs de contrôle parental existants sera mise à la disposition du public d’ici la fin du premier semestre 2020 ».

La charte en question n’est pas une surprise pour les fidèles lecteurs de Next INpact. Nous l’avions déjà dévoilée en juin dernier, du moins sa toute dernière version à date.

Le document était lui-même annoncé depuis le 2 mars 2018 et devait être finalisé voilà un an. Dans le corps, il est prévu que « l’ensemble des professionnels du numérique s’engage à proposer des outils gratuits destinés à protéger les mineurs contre toute exposition à des contenus pornographiques, fonctionnant sur l’ensemble des ordinateurs, tablettes et smartphones) et activables par les parents ».

Les différentes parties, dont les opérateurs mobiles, devront s’engager aussi à informer les utilisateurs sur l’existence de fonctionnalités permettant « de limiter l’accès à certains contenus pornographiques ». Les moteurs interdiront les liens sponsorisés pour les mêmes sites.

Un comité de suivi était lui aussi annoncé. On le retrouve sous la plume d’Adrien Taquet. Ce « comité des usages sera mis en place d’ici la fin de l’année afin de mesurer avec précision l’état précis de la menace, le niveau de diffusion des mécanismes de contrôle parental et les progrès réalisés dans un délai d’un an ».

Dans 6 mois… ou à la rentrée 2020 ?

C’est cette instance qui permettra de jauger l’efficacité des engagements pris par les acteurs. Selon le secrétaire d’État, si les mesures ci se révèlent insuffisantes, il est envisagé « à la rentrée 2020, l’instauration d’une obligation légale de contrôle parental par défaut sur l’ensemble des téléphones et tablettes vendus en France ». Cette rentrée 2020 dépasse curieusement le terme des 6 mois laissé aux FAI et opérateurs par Emmanuel Macron. Mais soit.

Si le sujet du contrôle parental est la mesure la plus bruyante, médiatisée, il n’est toutefois pas récent. Sans remonter au cri primal du premier baud, mentionnons déjà cet accord signé avec les fournisseurs d’accès internet le 16 novembre 2005, ainsi qu’une charte d’engagement avec les opérateurs de mobiles le 10 janvier 2006.

En juin 2008, nous révélions la charte sur la Confiance en ligne où le gouvernement prévoyait déjà un volet « contrôle parental ».

En 2011, deux députés avaient déjà imaginé l’activation par défaut voulue aujourd’hui par Macron, en vain.

En mars 2017, Laurence Rossignol, ministre de la Famille, avait explicitement envisagé cette solution. « Ce serait aux utilisateurs qui n’en ont pas besoin de le désactiver, et pas l’inverse », imaginait-elle.

Rappelons que l’article 6 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique fait déjà obligation aux FAI et aux opérateurs d’informer « leurs abonnés de l’existence de moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens ». L’AFNOR elle-même avait publié une norme expérimentale sur la performance des logiciels de contrôle parental en 2010.

Une vérification d’âge à l’entrée des sites pornos

Emmanuel Macron a annoncé d’autres mesures, cette fois beaucoup plus problématiques. Afin d‘accentuer la responsabilité des sites pour adultes, « on va préciser dans le Code pénal que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l’accès à la pornographie des mineurs de moins de 15 ans ».

Le Président de la République veut ainsi « généraliser des dispositifs de vérificateurs d’âge efficaces ». Page 18 du document mis en ligne par le secrétariat d’État, on retrouve cette proposition : le gouvernement veut faire « préciser dans l’article du Code pénal que le simple fait de déclarer volontairement son âge en ligne (via un mécanisme dit de « disclaimer ») ne constitue pas une protection suffisante contre l’accès à la pornographie pour les mineurs de 15 ans (ce que consacre déjà la jurisprudence sur le sujet) ».

Selon le Président de la République, « le choix des moyens sera laissé à l’appréciation des sites pourvu qu’ils soient efficaces et réels ». Belle affaire : il reviendra aux sites de trouver le Graal sur lequel d’aventureuses législations se sont cassé les dents.

Des propositions délirantes, des tentatives abandonnées

En mars 2017, lors d’une réunion au ministère de la Famille réunissant des acteurs associatifs, institutionnels et économiques, des propositions parfois délirantes furent faites.

Sous l’égide de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), les participants avaient envisagé l’instauration d’un système de scan de carte d’identité, un croisement de ces informations avec une base de données telle TES, le fichier des titres sécurisés ou encore un système de liste blanche….Pour la petite histoire, un sondage avait été effectué à l’occasion par l’IFOP pour Open. Et ses résultats se retrouvent comme par magie dans le document mis en ligne par Adrien Taquet.

Plus près de nous, le 10 juillet dernier, Cédric O, secrétaire d’État au numérique, avait marqué son intérêt pour l’instauration d’un lecteur de carte afin de valider sa majorité à l’entrée des sites pornographiques.  « Vous pouvez avoir des protocoles qui permettent, par exemple si vous passez votre carte sur un lecteur, juste de savoir si vous êtes majeur ou pas, sans dire votre identité. C’est extrêmement intéressant sur Internet » indiquait-il, sans préciser s’il visait particulièrement ALICEM ou une solution équivalente.

Il voyait en tout cas là « un outil essentiel pour lutter contre l’accès des enfants et des adolescents à la pornographie, parce que si vous [l’]imposez (…), cela permet de faire en sorte, sans vous identifier, de savoir si vous êtes majeur ou pas ».

Seul hic, outre-Manche, le système de vérification d’âge, qui devait être implanté à l’entrée de chaque site pour adulte sous peine d’être bloqué, a été récemment enterré. Nicky Morgan, ministre de la Culture, a reconnu que les difficultés techniques étaient trop nombreuses pour mettre en musique cette disposition issue du Digital Economy Act de 2017 initialement prévue pour avril 2018, mais maintes fois reportées.

Un contrôle de l’âge en ligne, une vraie fausse bonne idée

On comprend pourquoi. Mettre en place un dispositif autre que simplement déclaratif, c’est s’assurer aller au-devant de lourds problèmes. Exiger par exemple le numéro de la carte bancaire ou une pièce d’identité permettra d’imaginer un véritable piège pour les internautes – le porno n’étant pas illicite en lui-même.

Imaginons qu’un site crée un pot de miel gorgé de photos et vidéos pornographiques. Il pourra alors aisément aspirer quantité de ces pièces sensibles, tout en ayant une connaissance très aiguisée des orientations sexuelles de chaque visiteur. Un véritable drame sur l’autel du règlement général pour la protection des données personnelles !

À cette nouvelle obligation de vérification d’âge, le chef de l’État veut une nouvelle sanction : c’est le blocage des sites qui ne respecterait pas ce contrôle au portique d’entrée. Le CSA va disposer de compétence sur la protection des mineurs à la pornographie, comme le prévoit le projet de loi sur l’audiovisuel dévoilé dans sa dernière version dans nos colonnes.

Le porno en ligne, dans les compétences du CSA

Comme nous l’avons expliqué à Toulouse ce week-end, à l’occasion de l’édition 2019 de Capitole du Libre, l’Arcom, fusion de la Hadopi et du CSA, pourra prendre « les mesures appropriées afin que les émissions, vidéos produites par les utilisateurs et communications commerciales audiovisuelles qu’ils fournissent respectent les dispositions de l’article 15 de la loi de 1986 sur la communication audiovisuelle ».

Cette disposition obligera les hébergeurs de contenus à s’assurer de la protection de l’enfance et de l’adolescence et du respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public. Les programmes susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne devront pas être mis à disposition du public sauf apposition d’un système de contrôle parental. Des avertissements publics devront être injectés en ce sens. Mieux, des dispositifs de classification et de vérification d’âge sont aussi prévus.

Selon Adrien Taquet, le CSA pourra ainsi infliger des sanctions financières à l’encontre « des plateformes de partage de vidéos qui ne mettent pas en place de mesures de protection des mineurs appropriées ».

Pour la petite histoire, en février 2008, Christine Albanel avait déjà confié au Doc de Fun Radio, Christian Spitz, une mission sur le filtrage. La ministre de la Culture souhaitait alors que soit menée une réflexion « quant à une éventuelle extension des compétences du CSA dans le domaine d’Internet et notamment d’un pouvoir de recommandation sur les errements les plus manifestes ». Albanel en a rêvé, Macron la fait.

Les sites sans vérification d’âge seront bloqués

Plus fort encore, les pouvoirs du juge vont être revus à la hausse pour asseoir les « fondements juridiques nécessaires pour procéder au blocage des sites contrevenants ».

Ce futur blocage judiciaire fait réagir. « Ne pas oublier que le blocage, qu’il soit par défaut (contrôle parental désactivable par FAI sur justificatif) ou judiciaire concernera tout le monde, y compris les services enquêteurs qui ne se caractérisent déjà pas par un bon niveau de maitrise des fondamentaux Internet » réagit Me Alexandre Archambault sur Twitter. « On voudrait également infliger une double peine aux victimes de revenge porn, dont les sextapes se baladent sur des plateformes bloquées en France et monétisant à outrance ces contenus dans des pays moins regardants, qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Bravo les lois de circonstance ».

Le retrait en 24 heures des contenus porno dans la future loi Avia

En attendant, ce train de mesures s’articulera à merveille avec la future loi Avia, si du moins celle-ci passe le cap européen, outre le vote au Sénat et le contrôle du Conseil constitutionnel.

Le texte a été évidemment voté à l’Assemblée nationale, là où le groupe est majoritaire. La députée LREM veut obliger les plateformes à retirer en 24 heures les contenus dits « haineux ». Sont rangés dans cette catégorie, non seulement les injures raciales ou l’apologie du terrorisme, mais également les contenus pornographiques dès lors qu’ils sont simplement accessibles aux mineurs.

Les plateformes auront alors l’impérieuse obligation de les retirer en 24 heures sous peine d’une sanction allant jusqu’à 1,25 million d’euros. Témoignage éclatant du cap gouvernemental : la proposition de loi n’a pas prévu de disposition identique en cas de surcensure.

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