Données collectées, publicités sournoises, laxisme face aux réseaux pédophiles… Acculé par des autorités de régulation et des associations de parents, YouTube a supprimé des millions de vidéos inaproppriées et promet de s’amender.

Le côté Far West de YouTube commence à se réguler, notamment du côté des enfants. Bien que déconseillée aux utilisateurs de moins de 13 ans, la plateforme est particulièrement prisée par le plus jeune public et tout un microcosme s’y est développé : chaînes spécialisées, enfants stars, publicités calibrées, etc. Tout ce beau monde a pu profiter d’un grand laxisme de la part de YouTube, bien occupé à engranger les milliards de dollars de recettes générées par les annonceurs. Mais cela risque de changer d’ici peu, car la plateforme est aujourd’hui rattrapé par les plaintes de parents vigilants et des actions officielles d’organismes de régulation. Le YouTube adoré par les enfants est-il en passe de changer ?

Qu’est-ce qui coince avec YouTube ?

Plusieurs associations parentales américaines reprochent au géant de la vidéo en ligne de se montrer peu regardant en matière de la protection et de l’exploitation des données de leurs enfants. Sous leur pression, la FTC, le gendarme du commerce américain, a enfin fini par sévir, en infligeant, fin août, une amende de 170 millions de dollars au géant de la vidéo en ligne. La somme est (presque) ridicule : c’est l’équivalent de seulement quelques semaines de revenus publicitaires. Mais cela oblige YouTube à arrêter de collecter les données des plus jeunes et de les cibler avec de la publicité.

La plateforme en elle-même n’est pas la seule visée. L’association Truth in Advertising (TINA) vient aussi de déposer une plainte auprès de la FTC concernant les vidéos du très jeune Ryan ToysReview – 7 ans au compteur –, accusées de diffuser de la publicité cachée à des enfants trop jeunes pour s’en rendre compte. Sur cette chaîne suivie par 21,4 millions d’abonnés, le jeune Ryan, accompagné de ses insupportables parents (présents derrière mais aussi devant les caméras), teste quotidiennement des nouveaux jeux. Ce qui lui a rapporté, en plus de tous ces nouveaux jouets, la bagatelle de 22 millions de dollars en 2018 – plus que les très populaires youtubeurs Logan Paul ou PewDiePie. Selon le New York Times, Ryan ToysReview aurait été sponsorisé par les jouets Hasbro et Nickelodeon, les supermarchés Walmart ou le diffuseur Netflix. De quoi faire bondir TINA : « Cette chaîne fait la promotion trompeuse d’une multitude de produits à des millions de très jeunes enfants, ce qui viole les réglementations de la FTC. »

Et ce ne sont pas les seuls déboires de YouTube ! Car en début d’année, plusieurs voix ont aussi dénoncé le fait que la plateforme soit devenue le terrain de chasse de réseaux pédophiles qui se recommandent des vidéos d’enfants – souvent banales –, le plus facilement du monde, via les commentaires.

Que fait YouTube ?

C’est avant tout la fuite des annonceurs publicitaires face au scandale des réseaux pédophiles qui a poussé YouTube à réagir. La plateforme a supprimé « 9 millions de vidéos et plus de 537 millions de commentaires », désactivé les sections commentaires sous les vidéos de mineurs de moins de 13 ans et sur celles avec des enfants plus âgés « susceptibles de susciter un comportement prédateur », et mis en place un nouvel algorithme traqueur d’activité suspecte.

Parallèlement, YouTube a annoncé créer une déclinaison Web de sa plateforme mobile, YouTube Kids, dont la sécurité sera par ailleurs renforcée. Le géant va y investir 100 millions de dollars dans des programmes « réfléchis » pour les enfants.

En ce début septembre, Susan Wojcicki, la patronne de YouTube, a annoncé dans un communiqué que sa société allait changer sa « manière de traiter les données liés aux contenus pour enfants ». D’ici le 1er janvier 2020, elle considérera toute personne qui regardera une vidéo destinée aux moins de 13 ans comme étant elle aussi un enfant : ses données ne seront donc pas collectées, aucune publicité ne la ciblera et il lui sera impossible de commenter et de recevoir des notifications. A noter que c’est aux créateurs de contenu de préciser que leur vidéo est destinée aux enfants, au moment de leur chargement sur la plateforme, même si Wojcicki annonce aussi qu’un algorithme traquera les contenus visant un jeune public, notamment ceux traitant de jouets.

Comment réagissent les youtubeurs ?

Les voilà obligés de s’adapter. Si les parents de Ryan ToysReview, Loann et Shion Kaji, ont assuré à Gizmodo « suivre strictement les règles de la plateforme », leur modèle économique est en train de vaciller. Cités par The Verge, d’autres youtubeurs très suivis comme MyFroggyStuff (2,1 millions d’abonnés), Kelli Maple (1,2 millions) ou Rob of Art for Kids (1,9 millions) ont annoncé des changements dans leurs chaînes pour tenter de garder leurs fans. Certains vont désormais viser des catégories plus âgées – au-delà de 13 ans –, d’autres préfèrent travailler sur des sites ou des applis sans rapport avec YouTube, dont le contenu pourra être payant. Reste le cas des chaînes spécialisées sur les jouets pas forcément destinés aux enfants, ou sur les jeux vidéo séduisant parfois un jeune public, comme Minecraft ou Fortnite. Les plus malins tenteront peut-être de changer de vocabulaire – préférant employer le mot « miniatures » plutôt que « jouets », par exemple –, sinon, il leur faudra dire adieu aux revenus publicitaires.

Et en France ?

Même si elle est loin de la Californie, de ses énormes chaînes de « Kidfluencers » et des menaces des autorités américaines, la France est aussi concernée. Avec 1,5 million d’abonnements et plus d’un milliard de vues cumulées, la chaîne Studio Bubble Tea, spécialisée, comme Ryan ToysReview, dans l’unboxing de jouets, engrangerait près d’un million d’euros en un an, selon Envoyé spécial. De quoi alerter les associations de parents ? Pour l’instant, « on garde un œil critique, explique Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), qui constate que les mesures de protection restent de toute façon toujours à la traîne par rapport aux usages. « Les plateformes développent des outils qui sont détournés par les internautes sans que les plateformes elles-mêmes ne puissent le prévoir. Si l’on constate des dérives, c’est à nous de donner l’impulsion au législateur. » Après plusieurs alertes à propos des vidéos d’unboxing, considérées comme du travail dissimulé de mineur, l’Open a ainsi été entendu par le ministère du Travail, qui a annoncé vouloir se saisir de la question en mai 2018 – même si les choses ne semblent pas avoir bougé depuis. En attendant, les mesures américaines semblent aussi faire réfléchir les créateurs français. Dans sa dernière vidéo, la joyeuse famille du Studio Bubble Tea précise que celle-ci n’a pas été tournée grâce à « un partenariat » ou « un placement de produit ». Le début du changement ?

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