Toutes vos photos de vacances sont-elles bonnes pour être postées sur vos réseaux sociaux? Il semblerait que dans certains cas, cela comporte des risques.

La photo de la petite dernière qui se baigne dans la mer ou vos billets d’avion avant d’embarquer pour deux semaines à l’autre bout de la planète. Vous allez peut-être vous aussi, comme un grand nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux, publier vos photos de vacances en ligne. Mais sachez que ces publications sont loin d’être anodines.

Un cambriolage clé en main

Des photos de cocktails sous les cocotiers postées sur vos réseaux sociaux additionnées à des informations personnelles laissées publiques pourraient donner à d’éventuels malfaiteurs la recette clé en main du cambriolage réussi. Selon une étude britannique, 10% des utilisateurs de réseaux sociaux estiment avoir été victimes d’un vol ou d’un crime à cause d’une de leurs publications. Sachant qu’une effraction de domicile sur trois a lieu pendant les vacances d’été ou au mois de décembre, cela donne de quoi tourner sept fois son clic avant de poster.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) formule ainsi plusieurs recommandations, notamment de faire « une pause photo » sur les réseaux sociaux. Parmi ses conseils: taire les lieux et dates de vacances, éviter les photos qui pourraient révéler la durée du voyage domicile-destination (billets d’avion, quai d’embarquement), ou encore supprimer celles montrant des biens qui pourraient susciter la convoitise.

La Cnil formule un dernier conseil: vérifier en tapant dans un moteur de recherche « votre adresse + votre nom » que vous ne livrez pas toutes les informations nécessaires à de possibles cambrioleurs.

« Ne géotaguez pas votre domicile, n’indiquez pas votre adresse précise sur les réseaux sociaux ou demandez directement à un site de dépublier votre adresse postale », prévient-elle.

Des photos partagées avec le monde entier…

Vous pensez peut-être que seuls vos amis, ou ceux de votre/vos réseaux sociaux, ont vu vos photos en maillot au bord de la piscine. Eh bien pas du tout. Ces moments de votre vie privée ont peut-être été partagés avec un nombre incalculable de personnes. Et il se pourrait même que de parfaits inconnus, à l’autre bout de planète, se soient également plongés dans votre intimité.

« Qu’ils s’agissent de photos de vacances ou pas, bon nombre de personnes oublient que l’ensemble des contenus publiés en ligne nous échappent », pointe pour BFMTV.com Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open).

Sans compter que tout ce qui est publié, même une seule fois puis supprimé, ne disparaît jamais vraiment et peut réapparaître des années après. Le droit à l’oubli est illusoire.

« Une photo peut disparaître momentanément d’internet, mais elle peut tout à fait être conservée sur un disque dur ou transférée sur un autre site et stockée sur des serveurs, analyse pour BFMTV.com Stéphanie Lacour, directrice de recherches au CNRS, qui a dirigé l’ouvrage La sécurité de l’individu numérisé. Il n’y a aucun moyen de contrôler ce qui est diffusé sur internet. Et il n’y a aucun moyen de vérifier que ce que vous voulez retirer ne soit plus en ligne et ait réellement disparu. »

… Et réutilisées à des fins commerciales

Stéphanie Lacour, également directrice adjointe de l’Institut des sciences sociales du politique, recommande ainsi de lire attentivement les conditions générales d’utilisation. Car en partageant vos souvenirs sur Facebook, la firme de Mark Zuckerberg en devient la propriétaire. « Peu de personnes savent que Facebook peut exploiter commercialement leurs photos alors qu’elles y confient une grande partie de leur vie. En plus, les conditions générales d’utilisation changent régulièrement et ne sont pas les mêmes d’un réseau à l’autre. »

Facebook s’est ainsi octroyé l’autorisation « d’utiliser le contenu que vous créez et partagez ». Et précise: « Lorsque vous partagez, publiez ou importez du contenu (…) vous nous accordez une licence (…) transférable, sous-licenciable, gratuite et mondiale pour héberger, utiliser, distribuer, modifier, exécuter, copier, représenter publiquement ou afficher publiquement, traduire et créer des œuvres dérivées de votre contenu. » Bien qu’hypothétique, il serait néanmoins tout à fait possible que vous apparaissiez, en maillot de bain et en train de faire chauffer le barbecue, sur une affiche en 4 mètres par 3 sans avoir été prévenu, sans votre accord et sans rétribution financière.

Thomas Rohmer renouvelle la mise en garde: « Son modèle économique est d’utiliser et d’exploiter les données personnelles. Or, WhatsApp et Instagram lui appartiennent. Donc vos photos échangées sur WhatsApp appartiennent à Facebook. » Si pour WhatsApp, les messages sont cryptés, cela ne signifie pas pour autant que les photos restent privées. « Les gens ont une mauvaise compréhension de ce principe de cryptage. Cela les protège certes du piratage, mais pas d’une réutilisation à des fins commerciales. »

Les mentions légales de WhatsApp précisent en effet que l’utilisateur octroie une licence « nous autorisant à utiliser, reproduire, distribuer, afficher et exploiter les informations (y compris le contenu) que vous téléchargez, soumettez, stockez, envoyez ou recevez sur nos services ou par leur intermédiaire, ainsi qu’à en créer des œuvres dérivées ».

« Ce n’est pas grave si on en est conscient mais on ne sait pas quels contenus ressurgiront et sous quelle forme », ajoute Thomas Rohmer.

Le droit à l’image des enfants

L’autre problématique avec la publication des photos de vacances sur les réseaux sociaux, c’est la présence des enfants. Un quart des parents publient quotidiennement une photo ou vidéo de leur bambin sur les réseaux sociaux, selon un sondage réalisé pour la société de cybersécurité McAffee. Un quart de ces derniers le font même plus de quatre fois par jour.

Si la plupart d’entre eux ont conscience des risques que cela peut engendrer, beaucoup oublient tout simplement le droit à l’image. Un tiers ne se demande pas si leur enfant consentirait à ce que sa photo soit en ligne. Et un quart estime que leur enfant est trop jeune pour décider.

« J’invite les parents à s’interroger, poursuit Thomas Rohmer. Prendre en photo ses enfants est une chose, mais quel intérêt à les partager avec la moitié de l’humanité, alors qu’un humain sur deux est connecté à internet? » Autre donnée encore plus surprenante: un tiers des bébés qui ne sont pas encore nés ont déjà une empreinte numérique. Ce qui pose la question de la construction d’une e-réputation de l’être à venir avant même sa naissance.

Dans une société narcissique où l’enfant fait parfois office de faire-valoir, les parents lui impose une identité numérique indélébile dès la grossesse. Il faudrait faire émerger un droit à l’enfant à pouvoir jouir d’une identité numérique qui lui appartienne pleinement et le protéger en l’absence de son consentement ou jusqu’à sa majorité. »

Une photo de soi bébé sur le pot

Il dénonce ainsi une « prise d’otage numérique » et n’exclut pas qu’à l’avenir, des enfants saisissent la justice et se retournent contre leurs parents qui auraient diffusé des images d’eux durant leur enfance. Pour rappel, la publication d’une photo d’une personne sans son accord est punie d’un an de prison et 45.000 euros d’amende. Le président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique appelle à ce que l’intime demeure dans la sphère du privé.

« Les enfants n’ont rien demandé. On peut tout à fait comprendre qu’une photo de soi bébé sur le pot puisse déranger et créer un malaise chez un adolescent, ou qu’un jeune adulte en construction n’ait aucune envie que cette image ressorte au cours d’une recherche Google lors d’un entretien d’embauche. »

Une adolescente Américaine a récemment raconté son malaise et son profond sentiment de trahison lorsqu’elle s’est inscrite sur les réseaux sociaux et a découvert que son enfance avait été documentée par le menu, de la petite souris à ses caprices de bambin, par sa mère et sa sœur.

« Je venais tout juste d’avoir 13 ans et je pensais que je commençais ma vie publique en ligne, alors qu’en réalité il y avait des centaines de photos et d’histoires sur moi qui vivraient pour toujours sur internet, que je le veuille ou non, et je n’avais aucun contrôle dessus. J’étais furieuse. »

Le risque pédopornographique

L’autre risque, c’est que les images de ces mineurs soient détournées par des personnes malveillantes, notamment sur des réseaux pédopornographiques. Les exemples sont fréquents. Une Américaine a ainsi découvert par hasard, en scrollant sur Instagram, que les photos de sa fille de 8 ans et son fils de 9 mois avaient été repris sur onze sites pédopornographiques. L’année dernière, un spécialiste néerlandais de cybersécurité a révélé que des millions de photos d’enfants étaient récupérées partout dans le monde depuis Facebook ou Instagram pour alimenter ces sites.

Des précautions à prendre

Stéphanie Lacour, spécialiste de l’identité numérique, met également en garde contre les usages futurs. À l’exemple des systèmes biométriques. Dans un avenir proche, vos photos de vacances avec vos proches tous sourires pourraient-elles être détournées à des fins d’usages frauduleux? « À l’exemple de la technologie de la biométrie de l’iris, ces techniques se développent très vite. » Aujourd’hui, des banques et prisons utilisent déjà cette technique. Dans certains camps de réfugiés, comme le relatait Le Monde diplomatique, la reconnaissance de l’iris permet de payer ses achats « en un clin d’œil ».

Si, selon Stéphanie Lacour, l’idéal serait de s’abstenir de publier des photos intimes, elle formule tout de même quelques recommandations. « Vérifiez que vous ne publiez pas des photos référencées avec vos coordonnées et votre adresse. Ne donnez pas non plus l’état civil de votre enfant et floutez son visage. »

Pour Thomas Rohmer, le premier geste est de rendre ses comptes privés et de faire en sorte que les photos ne soient accessibles qu’aux personnes à qui elles sont destinées. « On dit aux enfants et aux adolescents qu’ils doivent se méfier des réseaux sociaux. Mais les parents ne sont pas exemplaires et devraient d’abord balayer devant leur porte en apprenant à bien utiliser ces outils. »

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