Sur YouTube, des enfants déballent, commentent et essaient des jouets et autres produits dans des vidéos enregistrées par leurs parents. Une activité lucrative qui fait controverse.

Assises à une table, Mégane et Léane, deux sœurs de 14 et 10 ans, ouvrent un colis de vêtements. L’aînée joue les mannequins et donne son avis, souvent enthousiaste. La séquence est filmée par leur mère qui alimente en vidéos ces séances d’unboxing (« déballage » en français) sur leur chaîne YouTube, créée il y a deux ans.  » On en poste deux par semaine », raconte Coralie, qui préfère témoigner anonymement. » Il peut s’agir de vêtements, de bonbons ou de jouets, en fonction des partenariats proposés. Les marques nous fournissent la marchandise mais ne nous payent pas » ajoute-t-elle. La petite chaîne familiale affiche 243 000 abonnés, un score modeste par rapport aux géantes du secteur qui comptent abonnés et visiteurs par dizaines de millions et publient des vidéos quasiment tous les jours. Parmi elles, Studio bubble tea dont les deux héroïnes blondinettes ont déjà une application et une gamme de jouets à leur effigie. A la manœuvre, leur père Mickaël**, qui reconnaît vivre des revenus de la chaîne – via les publicités diffusées entre les vidéos – , jure pourtant n’être guidé que par le « plaisir » que l’activité procure à ses filles et vante « la confiance en soi et l’aisance en public » qu’elles y ont gagnées…

Importé des Etats-Unis, le phénomène de l’unboxing suscite la polémique. Exhibition de jeunes enfants par leurs parents, publicité insidieuse et hors de contrôle des marques, les raisons de s’émouvoir sont nombreuses.

Les associations spécialisées pointent du doigt la question du travail déguisé. « Nous réclamons que ces enfants soient dotés d’un statut similaire à celui des enfants du spectacle », insiste Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique,  » ce qui permettra d’encadrer leurs horaires de travail et bloquera jusqu’à leur majorité une partie des revenus sur un compte dédié ». L’association Open s’interroge également sur le droit à l’oubli numérique pour ces enfants.  » Seront-ils contents de se voir en train d’ouvrir un paquet de chips ou d’essayer une robe de princesse quand ils chercheront du travail ? » demande son président. Coralie n’a pas ces états d’âme. Pour l’heure, elle se réjouit d’une rencontre de ses filles avec leurs abonnés. « On leur a réclamé et comme elles aiment donner du plaisir aux gens, on a accepté. On fait ce qui plait à notre public »…

« On est loin d’une activité de loisirs! »: Thomas Rohmer, président de l’association Open (Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique)

Ces enfants sont utilisés par leurs parents à des fins lucratives. Pour satisfaire leurs abonnés, certains publient à un rythme effréné, jusqu’à 30 vidéos par mois ! On est loin d’une activité de loisirs, c’est un business qui rapporte, mais au détriment du temps que ces enfants devraient avoir pour eux. Le problème, c’est le vide juridique sur internet. Nous réclamons une modification du code du travail pour offrir à ces mineurs des garanties qui les protégeront des appétits démesurés de leurs géniteurs.

« Un rapport à l’image risqué à cet âge »: Stéphane Clerget, pédopsychiatre*

La question du libre arbitre de ces enfants se pose, car ils sont en quelque sorte otages de leurs parents. Le risque est qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte, ils leur reprochent d’avoir été dépossédés de leur enfance.

D’autre part, le rapport à l’image est à haut risque à cet âge. L’enfant peut y gagner un narcissisme démesuré quand ses vidéos deviennent populaires et se trouver fragilisé dès lors que le nombre des abonnés chute. Il n’a pas le recul nécessaire pour comprendre que sa valeur personnelle n’est pas en cause.

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