Publié sur Paris Normandie.fr –

En marge du Forum « Territoires Connectés » sur le thème de la solidarité et de la sécurité qui s’est tenu le week-end passé à Trouville Sur Mer.

Rencontre avec Thomas Rohmer, expert en protection de l’enfance, membre du bureau de l’association « La Voix de l’Enfant », fondateur de l’OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique) et Bernard Cordier psychiatre des Hôpitaux, chef de service à l’hôpital Foch, vice-président de l’association la Voix de l’enfant, chargé de cours de criminologie Paris V, expert près de la Cour d’Appel de Versailles.

Les deux experts animaient une table ronde sur le thème :  « Quels Rôles Les Parents jouent-ils Dans l’éducation numérique ? ».

Est-il possible de concilier enfance et numérique ?

Thomas Rohmer : « Dès 2004 j’ai pris conscience qu’il était nécessaire de sensibiliser les enfants autour des enjeux et risque du numérique. Ce sujet était passionnant parce qu’il permettrait de passer, à travers le prisme numérique, tous les grands enjeux de société. »

Quelle place les parents peuvent-ils tenir dans l’espace numérique de leurs enfants ?

T. R : « En France 7 enfants sur 10 ont un smartphone entre les mains dès la classe de cm2. Nous sommes dans une logique ou la pression sociale veut que les enfants soient équipés de plus en plus tôt. Mais quand il s’agit d’accompagner les enfants on est face à un blocage. Les parents se réfugient souvent derrière des considérations techniques alors que l’on est là face à un enjeu d‘éducation. J’essaie toujours de faire comprendre avec bienveillance que les parents me semblent être les principaux responsables de l’éducation et de l’accompagnement de leurs enfants avant l’école. Ils ont un rôle à jouer, c’est à eux à définir les règles de fonctionnement au sein de la famille ! Alors certes ce n’est pas simple parce qu’une fois encore le numérique bouscule beaucoup de choses… Mais les adultes ont à se positionner pour pouvoir légitimer cette approche d’accompagnement de leurs enfants dans un comportement eux-mêmes exemplaires. Il y a à la fois un paradoxe en termes de pression sociale avec cette course à l’équipement de plus en plus jeune et en même temps un désengagement, un questionnement qui s’explique par les craintes qui selon moi ne sont pas forcément justifiées. Je pense que les parents ont tout à fait la capacité de pouvoir mettre en œuvre tout cela. »

L’humain reste donc maître du jeu ?

T. R : « Il le faut ! Les outils du numérique sont des facilitateurs de quotidien mais ils remettent en question notre mode de fonctionnement des uns par rapport aux autres. Il y a un rapport au temps et à la manière dont on le gère en fonction d’un temps de connexion de plus en plus important et qui comporte des risques. »

L’avenir peut-il s’envisager positivement ?

T.R : « Au niveau de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique j’ai créé une plateforme qui est un point d’entrée assez bien balisé pour les familles, les parents et les éducateurs car on peut constater que les conseils qui leur sont donnés sont très éparpillés et très poussiéreux. Modestement, j’ai voulu dépoussiérer cette approche notamment d’accompagnement de la « parentalité numérique ». Les problématiques sont identifiées nous cherchons les solutions en tenant compte du quotidien numérique des gens, et en mettant en œuvre des messages adéquats. C’est pour cela que j’essaie de m’entourer d’un certain nombre d’experts jeunes venant de tout le territoire qui ont une approche totalement différente : un docteur en marketing, un sociologue, un psychologue… Pour à chaque fois proposer des approches concrètes. Pour les jeunes le processus de l’adolescence c’est aussi la mise en danger, le côté rebelle et les outils numériques sont un moyen d’expression pour eux (libérateur et défoulatoire), donc je pense qu’il ne faut pas non plus dramatiser. Par contre, ce sont surtout les postures des adultes qui peuvent être parfois limites et peuvent déclencher plus de problématiques que d’apporter des solutions. »

Comment voyez l’humanité s’adapter au numérique ?

T.R : « Je ne doute pas de la capacité de l’être humain à pouvoir s’adapter à tout cela comme il l’a toujours fait. La seule chose c’est la rapidité de déploiement de tous ces outils numériques qui nous bousculent ! On manque de temps et de réflexion et c’est pour cela qu’il ne faut pas surréagir. Les médias ont un rôle très important. Je suis toujours effaré de voir cette poussée médiatique qui consiste à donner la parole et à transformer en vox populi l’expression de quelques personnes que l’on prétend être l’expression de l’opinion publique. Il faudrait que tout le monde, d’un point de vue éthique prenne le temps en ne mettant pas en avant des choses qui sont des épis phénomènes. Mon message positif c’est de dire que j’ai une grande confiance en l’espèce humaine qui a toujours su s’adapter et les référents adultes doivent tous s’emparer de ce sujet qui est un véritable enjeu d’éducation. Pour que l’on soit dans le bien vivre ensemble. »

Quels sont les risques psychologiques du numérique pour les jeunes ?

Bernard Cordier : « Nous sommes dans la prévention. Je commence à voir des petites modifications dans l’évolution psychique des personnes que je reçois notamment dans la souffrance au travail. Thomas Rohmer à souligner le manque de temps ! Alors quand il s’agit des jeunes on sait que l’immédiateté est leur premier réflexe « je veux tout, tout de suite ! ». C’est l’éducation qui doit leur dire « apprend à différer ton envie ». On peut brider un peu, mais certainement pas fermer l’accès aux outils connectés, c’est inéluctable. Il faut compenser la vitesse en question par des temps calmes. Les temps calme c’est de la relaxation et il faut prévoir cela, car je crains que dans cette course de vitesse le temps pour devenir mature soit beaucoup plus long. Des jeunes de 25 ans peuvent encore être des ados ! Accéder à la maturité c’est différer une envie et anticiper les conséquences de ce qu’on va faire. Sinon on reste enfant ! »

Quels sont les dangers de l’internet sur la sexualité ?

B. C : « L’impact des scènes sexuelles auxquelles les enfants pré pubères peuvent être confrontés à une époque très importante de la vie qu’est l’éveil de la sexualité existe. Il faut accompagner cet éveil à la sexualité dès l’âge de 11/12 ans. C’est un grand moment pour l’enfant. Pour des enfants au début de l’éveil de leur sexualité, être confronté à des scènes de violence et violence sexuelles implique aussi à ce stade de leur évolution, l’apparition des endorphines généré par le corps et qui sont des drogues. Il faut d’ailleurs que l’éducation sexuelle ne soit pas que de la plomberie mais apprendre aussi ce qui ce passe dans la tête. En tant qu’expert devant les tribunaux je vois l’évolution de la sexualité par les infractions sexuelles commises et on s’aperçoit en reprenant le fil du parcours des délinquants sexuels sur les sites internet qu’il y a des ressemblances entre ce qu’ils ont regardé et le passage à l’acte. »

Certains veulent abaisser l’âge de la majorité qu’en pensez-vous ?

B. C : « La Voix de l’enfant va réagir bien entendu. Nous sommes très vigilants la dessus. Nous sommes partenaire de la protection de l’enfant. Les tribunaux pour enfants ont été créés pour qu’il y ait une approche différente des mineurs ! Ce que je vois maintenant au contraire, ce sont des garçons et des filles de 20 ans qui ont en réalité 12 ans ou 14 ans. Ils sont immatures. »

Thomas Rohmer : « La Voix de l’enfant est un acteur central dans le plan contre les violences faites aux enfants annoncé la semaine dernière par le ministère de la Famille. En parallèle l’OPEN qui fait partie des 80 associations fédérées par la Voix de l’enfant va porter un groupe de travail sur la mise en place d’une réflexion sur la nécessité de faire évoluer les choses en ce qui concerne l’impact de la pornographie sur les jeunes. Cela va donner lieu à un premier groupe d’échanges avec les acteurs du secteur de l’internet et ceux du contrôle. Puis il y aura la mise en place d’un groupe de travail co-piloté par l’Open et par la Direction Générale de la Cohésion Sociale issue du ministère de la Famille. Le but est de trouver une solution pour que les lois soient respectées. L’Open va réaliser une étude sur la consommation réelle de pornographie des mineurs dans les jours qui viennent avec l’Ifop. Afin de déterminer l’impact que cela peut avoir sur la construction de l’orientation sexuelle mais aussi les postures, notamment les rapports filles garçons qui sont dénaturés quand la source d’information est uniquement la pornographie chez les mineurs. L’Open va aussi aller sur le terrain à la rencontre des parents, dans les associations, dans les collectivités, en entreprise pour faire du coaching parental à la parentalité numérique. »

Lien de l’article