Pornographie, rencontres sur les réseaux sociaux, nudes… Comment un mineur bascule-t-il dans la prostitution ? Entretien avec Arthur Melon, Secrétaire Général de l’ACPE.

Tomber des nues en apprenant que sa fille se prostitue, c’est le scénario cauchemar qui fait froid dans le dos de certains parents…

À l’ère du numérique, beaucoup s’inquiètent : il est beaucoup trop facile d’accéder à des films porno hard en quelques clics, beaucoup trop tentant de se dévoiler devant la caméra de son smartphone, et qui sait quels pervers rôdent sur les réseaux sociaux préférés des ados…

Face à ces inquiétudes, pour rassurer et prévenir efficacement, l’OPEN s’est associé à plusieurs spécialistes de la prostitution des mineurs afin d’apporter des réponses claires et ciblées.

OPEN : De manière originale, l’ACPE, L’OPEN et d’autres structures se sont associés afin de proposer un accompagnement complémentaire aux professionnels et aux institutions. Comment ce partenariat permet-il de sensibiliser au problème de la prostitution des mineurs ?

Arthur Melon : Nos formations sont animées par plusieurs associations et professionnels de terrain. Chacun des partenaires apporte un éclairage spécifique qui a trait de près ou de loin à la prostitution : le numérique, notamment avec l’OPEN, mais également les fugues, la santé sexuelle, les addictions, etc.

Les professionnels sont particulièrement en demande de réponses pour savoir comment discuter avec les jeunes, et comment les convaincre de sortir de la prostitution. Nous leur expliquons qu’il n’existe aucune « solution miracle », mais que nous les outillons pour qu’ils enrichissent individuellement leurs pratiques.

A l’ACPE, nous constatons systématiquement une méconnaissance de la législation, et parfois certains stéréotypes ou jugements sur le sujet de la prostitution.

OPEN : La prostitution des enfants en France, qui concerne plusieurs milliers de mineurs, est selon l’ACPE « un sujet peu abordé et très méconnu ». Avec les smartphones et internet, les enfants sont exposés à la pornographie de plus en plus tôt, vers 10 ans aujourd’hui en moyenne. Est-ce que cette exposition à la pornographie en ligne est un mécanisme qui peut mener à la prostitution d’un enfant ?

AM : Le lien n’est pas aussi direct. La pornographie représente la banalisation de pratiques sexuelles souvent extrêmes. Cet accès extrêmement facile à la pornographie abat certaines barrières psychologiques à la prostitution et fait que les ados minimisent certains actes sexuels. On entend des raisonnements comme « une fellation n’est pas vraiment un rapport sexuel puisque je garde ma virginité ». Donc cette banalisation peut rendre l’entrée dans la prostitution moins improbable, malheureusement.

Ce qui est en jeu dans la pornographie, et dans les pratiques qui s’inspirent de la pornographie, ce sont des codes très stricts auxquels il faudrait se soumettre. Ça cache de vrais stéréotypes, il y a des choses « obligatoires » à faire, on est loin de la question « Qu’est-ce qui me fait vraiment envie et plaisir, à moi ? »

♦ Écouter : « SOS, mon enfant est tombé sur du porno en ligne, je fais quoi ? » Petite Causerie du Numérique avec Céline Tran et Claude Giordanella

OPEN : La pratique des « nudes », le fait d’envoyer via son smartphone des photos osées de soi-même, inquiète beaucoup les parents. Quel danger représentent les nudes ?

AM : Pour un ou une ado, faire comme les autres peut être un moyen de s’intégrer dans le groupe, de se faire accepter et de se faire des amis.

Le gros problème est qu’on est face à un très grand sexisme : quand il s’agit d’un acte sexuel, l’anathème tombe toujours sur les filles, qui peuvent être victimes de rumeurs et de harcèlement.

Une fille qui a envoyé un nude sous la pression des autres, et qui se fait traiter de « pute », peut se retrouver tellement à bout qu’elle finit par se dire « De toute façon tout le monde pense déjà que je suis une pute, je n’ai plus rien à perdre, autant en devenir vraiment une ».

Un autre scénario possible est celui du « loverboy » : un petit ami, souvent un peu plus âgé, utilise l’emprise affective qu’il a sur une fille pour exiger une photo ou une vidéo osée voire pornographique. Puis cette photo ou vidéo peut être utilisée comme moyen de pression pour obliger une mineure à se prostituer. Au-delà de ce scénario de chantage, les filles qui sont prostituées sont souvent filmées et les vidéos circulent à leur insu. Cela ne facilite pas leur retour à une vie normale.

OPEN : Internet et les réseaux sociaux sont souvent pointés du doigt comme des repaires de prédateurs. Comment entrent-ils en contact avec les jeunes ?

Arthur Melon : Le problème avec l’univers virtuel c’est que les ados ont l’impression que c’est un jeu, sans conséquences réelles. Ils sont chez eux, dans leur chambre, et ils ont l’impression d’être en sécurité derrière un écran. La prudence baisse d’un cran.

C’est par ce biais-là qu’il peut y avoir une initiation à la prostitution via les écrans : quelqu’un avec qui ils bavardent sur internet leur demande des photos et promet des cadeaux en échange. Un enfant peut entrer de façon très progressive et insidieuse dans cette attitude de marchandisation de son corps, et il lui est très difficile de reconnaître qu’il s’agit de prostitution : il n’a jamais rencontré la personne en vrai, il s’agit uniquement de photos, il n’est pas sorti de chez lui…

Mais derrière tout ça, il y a la satisfaction d’un désir sexuel dans le cadre d’un échange tarifé, même s’il ne s’agit pas d’argent. De notre point de vue, il s’agit de prostitution, mais du point de vue juridique, c’est une zone grise dans la mesure où il n’y a pas eu de contact physique. Or c’est le contact physique qui définit la prostitution au regard de la loi.

OPEN : Comment la loi protège-t-elle les mineurs ?

AM : La jurisprudence qui fait foi date de 1996, bien avant l’arrivée de l’internet 2.0. Nous estimons qu’il faut revoir cette définition de la prostitution. Le racolage sur le trottoir a été délaissé au profit des réseaux sociaux : la mise en contact entre une personne prostituée et son client ne se fait plus vraiment dans la rue, elle se passe essentiellement par internet.

À l’ACPE, nous estimons que troquer une image pornographique contre une récompense, c’est de la prostitution. Aujourd’hui, en l’état actuel de la loi, si la personne est mineure, cela serait plutôt considéré comme de la corruption de mineur.

La « corruption de mineur » permet de mieux sanctionner, mais cela n’apporte pas le même effet protecteur à la victime qu’une condamnation pour recours à la prostitution d’un mineur.

Et malheureusement ce chef d’accusation est extrêmement peu retenu, cela représente une infime partie des affaires qui sont jugées et des sanctions qui sont prononcées. Le problème est que la plupart des familles qui se tournent vers la police ont énormément de mal à obtenir de l’aide. Alors imaginez lorsqu’il s’agit d’une « simple photo »…

OPEN : Comment peut-on efficacement prévenir ces dangers sans faire peur aux enfants, mais sans non plus minimiser les risques réels ?

AM : La prévention est essentielle. À l’ACPE, nous avons créé un outil de sensibilisation, le « michetomètre ». Le michetonnage est un ensemble de pratiques dans lesquelles une jeune femme entretient une relation romantique, dans le but d’obtenir des cadeaux contre la promesse de faveurs sexuelles. Avec le « michetomètre », nous voulons permettre aux ados de lire des situations très concrètes et de les replacer en contexte : s’agit-il d’une relation amoureuse classique ? De prostitution ? De proxénétisme ?

C’est un outil conçu comme un support aux échanges avec les adultes, que l’on veut mettre en évidence dans les endroits où les ados pourront le voir.

Lorsque les adultes prennent le temps de mettre le sujet sur la table, ils voient tout de suite que les ados ont beaucoup de choses à dire. Au fond, ceux qui sont le plus mal à l’aise et qui ont le plus de mal à aborder le sujet de la prostitution, ce sont les adultes.

En savoir plus : ACPE, Agir Contre la Prostitution des Enfants – acpe-asso.org