Quand certains sites porno ciblent nos enfants, Interview d’Ovidie pour son documentaire choc « Pornocratie » le 18 janvier sur Canal Plus.

Dans ce documentaire réalisé avec talent par Ovidie, nous plongeons dans un univers glauque et méconnu du grand public : le phénomène des « Tubes » sur Internet à savoir les sites pornographiques en accès libre et gratuits qui pullulent sur la toile, avec pour unique leitmotiv la mise en ligne d’images toujours plus trash afin de générer un maximum de trafic.
En l’espace de moins de dix ans, Internet est devenu le seul et unique vecteur de diffusion de contenus pornographiques, bouleversant totalement le modèle économique de cette industrie le plus souvent au détriment de la condition des femmes sur les tournages, mais aussi de la protection des enfants qui sont devenus des « clients » comme les autres.

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Ovidie, alors que vous êtes désormais reconnue pour la qualité de votre travail en tant que réalisatrice, quelle raison vous a poussée à vouloir mener cette enquête au sein d’un milieu que vous avez quitté il y a de nombreuses années ?

« Disons que c’est finalement un milieu qu’on ne quitte jamais complètement. Dans le sens où, même si cela fait quinze ans que je ne me déshabille plus devant des caméras, la société ne me considèrera jamais comme « rhabillée ». La stigmatisation est telle qu’aucun droit à l’oubli n’est possible. Ce constat est d’autant plus vrai que de nos jours, de vieilles vidéos, parfois extraites de VHS, ressurgissent sur des sites de streaming gratuits, sans aucun contrôle et surtout sans mon consentement. Il ne suffit de quelques secondes et d’un simple copier-coller pour « outer » une ancienne actrice auprès de l’ensemble de son environnement social. C’est valable pour toutes les femmes qui se sont retrouvées un jour nues sur internet. On le sait, sur internet rien ne disparaît et nous en payons le prix fort au quotidien.

On pourrait croire que le porno ne me concerne plus, mais en réalité il me concernera toujours. C’est d’autant plus vrai que j’y ai maintenu des contacts et que j’ai vu cette industrie s’effondrer économiquement. J’ai également vu des actrices arriver puis repartir, j’ai vu leurs conditions de travail se dégrader, je les ai écoutées me raconter ce qu’elles vivaient sur certains tournages. Je me suis dit que si je ne faisais pas ce film, personne ne le ferait jamais. C’est un milieu très compliqué, il faut le connaître de l’intérieur pour bien saisir les tenants et aboutissants. Un journaliste extérieur n’aurait jamais pu obtenir ces témoignages. »

Au début de ce documentaire vous déclarez «  …le piratage de mes films a eu un impact sur ma vie que les gens ne soupçonnent pas … « . Pouvez-vous expliquer aux parents qui nous lisent ce que signifie cette phrase ?

« À l’heure actuelle, 95% de la consommation mondiale de porno passe par ce que l’on appelle « les tubes », à savoir des sites de streaming en accès libre et gratuit construits sur le même modèle de YouTube. Leurs chiffres de fréquentation sont ahurissants, nous en sommes à plus de 200 milliards de vidéos visionnées rien que pour l’année 2016. Ces sites sont accessibles à tous, peu importe l’âge, sans aucun contrôle. Le streaming offre une immédiateté que ne permettait pas le téléchargement et ne laisse aucune trace, du moins en apparence. Ce qui explique que n’importe qui peut avoir accès à ces vidéos, des voisins, des collègues, des enfants, à partir d’un simple smartphone. Dans les cours de récréation, les gamins peuvent faire circuler une vidéo en quelques clics et il est difficile de pouvoir tout contrôler.

Et cela a également un impact sur nos vies en tant qu’anciennes professionnelles. Il y a quelques semaines une ancienne actrice m’a contactée : elle avait repris ses études mais était à deux doigts de se faire renvoyer de son école parce que les étudiants s’amusaient à faire circuler ses scènes pendant les cours. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. »

Au terme de cette enquête, selon-vous, pouvons-nous estimer que les enfants/adolescents sont des cibles commerciales comme les autres pour les « Tubes » ?

« Oui, le public mineur représente une proportion relativement conséquente de la fréquentation de ces sites. Difficiles de connaître les chiffres réels de fréquentation, car ces sites ne publieront jamais ce type de statistiques dérangeantes. Tout ce que je sais, c’est qu’à l’époque où je travaillais sur mon précédent documentaire, « À quoi rêvent les jeunes filles ? », qui portait sur le rapport au corps et la sexualité des « natifs numériques », plusieurs jeunes personnes se revendiquaient issues de « la génération Youporn ».

Dans Pornocratie, le réalisateur Pierre Woodman raconte que lorsqu’il fait passer des castings à des jeunes femmes, certaines affirment le connaître depuis qu’elles ont 8 ans ! C’est la raison pour laquelle ces sites ne proposent pas de contrôle de l’âge : ils savent que cela limiterait de façon considérable leur fréquentation. »

Dès lors, Comment expliquer qu’en France il soit difficile de protéger concrètement les enfants des contenus pornographiques en ligne ?

« Je pense que la plupart des gens préfèrent se boucher le nez et regarder ailleurs dès qu’il est question de pornographie, alors que cela fait partie de notre environnement culturel, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore.

Les politiques préfèrent rester sur des postures morales basiques du genre « le porno c’est pas bien pour les enfants » mais ne veulent pas approfondir le sujet plus que ça.
Ils feraient mieux de prendre des consultants, des professionnels, des gens qui maitrisent le sujet, plutôt que de faire appel à des personnes dont ce n’est pas le domaine de recherches.
Ainsi, seulement ils pourront agir de façon efficace et non uniquement tenir des discours creux.
Mais je pense qu’ils ont peur de passer pour des censeurs et des liberticides.

Ce qui est fou, c’est qu’à l’heure actuelle les producteurs de porno « à l’ancienne » sont les premiers à réclamer une protection des mineurs et une réglementation adaptée ! Dorcel, Woodman, Colmax… Historiquement, c’est bien la première fois que les pornographes demandent des censures. C’est bien qu’il y a un problème. Pour moi, les personnes qui ont le pouvoir de légiférer et qui ne font rien sont aussi responsables de la consommation de porno par les enfants que les propriétaires des tubes. »

Ovidie, vous avez dans votre entourage des jeunes enfants, quels conseils donneriez vous aux parents sur la manière d’utiliser Internet avec les plus jeunes ?

« Pour ma part, je fais beaucoup de prévention auprès des enfants que je connais concernant la circulation des données personnelles. Je martèle donc à tout bout de champs les règles d’or d’internet : on ne partage pas d’informations privées, on n’envoie pas de photos ni de vidéos, on ne raconte pas sa vie à des gens qu’on ne connait pas.

J’essaie d’expliquer qu’internet c’est aussi la « vraie » vie, qu’il y a de vraies personnes de l’autre côté de l’écran, et que que cela peut aussi faire de  » vrais  » dégâts. Dans la rue on ne donnerait pas sa photo ni ses coordonnées à un inconnu, et bien sur internet non plus. Les enfants que je connais étant assez jeunes je leur déconseille pour le moment les réseaux sociaux même si cela ne pourra pas durer éternellement puisque tous leurs copains et copines s’y trouvent déjà.
Cela limite les risques, tout en ne « diabolisant » pas internet qui demeure un outil indispensable.
Après, et cela n’engage que moi, je pense que les parents ont une immense responsabilité dans le choix du téléphone ou de la tablette qu’ils offrent à leurs enfants et de l’âge auquel ils choisissent d’équiper leurs enfants.

Ensuite en ce qui concerne spécifiquement la pornographie, je pense que la « stratégie » éducative doit se faire en amont : défendre bec et ongle au quotidien les notions d’égalité entre les deux genres, ne pas inculquer de mépris ni d’hostilité vis à vis de la sexualité.
Je pense que les parents doivent tenter de rester neutres, j’aurais détesté étant enfant que mes parents me parlent de ma sexualité, mais je reste persuadée qu’il faut éviter de condamner.

Bien sûr, il faut répondre aux questions qui nous sont posées en tant qu’adultes. Et le jour où l’on trouve les questions trop gênantes, il est préférable de se tourner vers des personnes formées pour y répondre. Mon conseil sera celui-ci : vous avez tout-à-fait le droit de ne pas être à l’aise pour parler de leur sexualité avec vos enfants, d’ailleurs ce n’est pas forcément votre rôle. Si votre enfant tombe sur du contenu qu’il n’aurait pas dû voir et que vous ne savez comment aborder le sujet, ne vous sentez donc pas ridicule d’appeler des spécialistes du sujet comme votre association qui vous répondront avec bienveillance. »

 

Documentaire « Pornocratie, les nouvelles multinationales du sexe » à voir le mercredi 18 janvier 2017 à 20h50 sur Canal Plus.

Attention le documentaire ne contient pas particulièrement d’images choquantes mais les propos tenus le sont parfois, d’où son interdiction aux